Mon implication au sein d’Ingénieurs sans frontières m’a permis d’apprendre énormément sur le développement international et le changement social. On m’a amenée à me poser des questions difficiles, critiques et nécessaires quant au pourquoi et au comment du développement international. Surtout, on m’a brainwashé appris à voir les problèmes complexes comme un système, ce que nous appelons un peu pompeusement dans notre jargon la pensée systémique. En gros, il s’agit de voir comment les acteurs et actrices d’un systèmes sont interreliés, comment différents facteurs (argent, information, pouvoir, etc.) circulent entre eux et elles en les influençant et où est-ce qu’on se trouve soi-même dans ce système. Ensuite, on est en mesure de se demander où et comment on peut agir dans ce système pour le changer d’une façon qui, on l’espère, pourra l’améliorer de façon durable. On l’espère, parce qu’on ne peut pas prévoir exactement comment réagira ce système complexe. Cours de pensée systémique 101.
C’est avec ceci en tête que j’ai vécu les derniers mois. Lors de mes discussions avec les femmes, j’ai commencé à sentir de plus en plus qu’elles souhaitaient que je leur apprenne quelque chose qui pourrait les aider. Je sentais même que certaines l’exigeaient comme quelque chose qui leur était dû et cela me mettait mal à l’aise.
Comment, avec les quelques semaines qui me restaient, pourrais-je monter un projet avec ces femmes qui pourrait réellement les aider et de façon durable en plus? Comment pourrais-je, en si peu de temps, leur apprendre quelque chose qui nous permettrait, ensemble, de changer le fameux système? Mission impossible. Paralysie systémique. Non : plutôt ne rien faire que de tenter quelque chose qui semble voué à l’échec.
Étais-je en train de refuser à des personnes désireuses d’apprendre de le faire? Étais-je en train d’égoïstement refuser de partager? Je me réfugiais dans mon rôle de chercheure, me disant que c’était de la recherche que j’étais venue faire ici et non du développement. Je ne voulais pas tenter quelque chose qui n’apporterait visiblement pas de changement systémique. Ça ne fonctionnait pas, tout ça. Je ressentais dans mon coeur que je n’étais pas moi, mais j’étais paralysée par la pensée que quelques semaines ne suffiraient pas à changer le maudit système. J’ai alors eu une bonne conversation avec une personne très chère à mon coeur qui m’a donné le coup de pied au derrière qu’il me fallait en me disant d’oublier tout ce que tout le monde me disait. « Get out of your own way! », m’a-t-elle dit. « Demande-toi ce que Catherine Cyr Wright est capable de faire. Dans six semaines, cette fenêtre d’opportunité se referme… »
Quel soulagement! Je me suis donc laissée aller à faire quelque chose pour ces femmes qui avaient si généreusement partagé leur temps et leurs pensées avec moi. Je leur ai proposé cinq projets possibles, parmi lesquels elles devaient en choisir un. Inspirées par cette vidéo que nous avions regardée ensemble lors d’une des entrevues de groupe, nous avons ensemble appris à faire des serviettes sanitaires réutilisables. J’ai rassemblé le matériel et les outils nécessaires et leur en ai fait cadeau afin qu’elles puissent continuer par elles-mêmes après mon départ.
Dans ma tête, je les voyais bien former une petite entreprise en groupe, se diviser le travail, se donner chacune un rôle et partager les profits. Je trouvais que ça avait du potentiel. Au fil des rencontres, je me suis aperçue qu’au fond, ce groupe n’était pas naturel, ces femmes ne voulaient pas nécessairement travailler toutes ensemble. J’étais déçue et, je dois l’avouer, un peu découragée. Toutefois, ça, c’était ma vision. Vous connaissez mon penchant pour la collaboration. Or, de leur côté, elles préféraient y aller individuellement ou peut-être en plus petits groupes. Est-ce mieux ou pire? Je ne sais pas, mais comme c’est ce qu’elles souhaitaient, j’ai séparé tout le matériel que j’avais réussi à amasser en neuf.
Je n’ai pas changé le système. Je n’ai pas su créer un groupe de travail durable. Je n’ai pas réussi à améliorer de façon significative la condition de vie de ces femmes. Nous avons cependant appris à faire quelque chose ensemble et hier, alors que je faisais ma tournée d’au revoir dans les maisons de Lhomond et que quelques-unes de mes participantes étaient en train de coudre lors de ma visite, je me suis dit bien humblement que je leur laissais tout de même un petit quelque chose.