« They know we are coming… »

Nous sommes le 21 janvier 2016. Je suis en transit à l’aéroport d’Atlanta, l’embarquement du vol pour Port-au-Prince se fera dans quelques minutes. Je me sens fébrile, mais à la fois nerveuse d’arriver de soir dans une ville secouée depuis plusieurs jours par des manifestations quelque peu violentes. Assise sur un banc de l’aire d’attente, essayant de terminer une salade de pâtes trop sauceuse avant d’embarquer dans l’avion, j’observe la faune avec qui je ferai le trajet. Ce qui me vient immédiatement en tête : c’est terriblement blanc! Je remarque un groupe de personnes qui portent toutes le même chandail rouge, on dirait un groupe de coopérants et coopérantes faisant partie d’une institution religieuse quelconque. Je me retiens tant bien que mal de juger. Qui sait, j’aurai peut-être l’occasion de discuter avec eux dans l’avion?

Comme de fait, je suis assise aux côtés de deux femmes membres de ce groupe et une troisième se trouve à ma droite, de l’autre côté de l’allée. Je ne me souviens plus de comment la conversation a commencé, mais je me souviens de ces quelques extraits qui sont, pour moi, assez parlants :

Moi : So where are you going in Haiti?

Derrière l’énorme accent anglais (américain) de ma voisine qui me répond, hésitante, je comprends qu’elles se rendent à Grand-Goâve. Je leur demande ce qu’elles vont faire là-bas.

Ma voisine : Oh, we are going to build houses, educate people by giving trainings, pray for the sick, all these kinds of things.

Moi : How long are you staying there?

L’autre femme : 9 days.

Ma voisine : And you, where are you going and what will you be doing?

Moi : I am visiting friends in Lhomond, a small community in a rural area, an hour or so further than Grand-Goâve. I’ll be staying 3 months and a half so I can do a research project with them.

Ma voisine : Wow, for how long have your friends been there?

Moi : Well… They were born there, that’s where they’ve always lived.

Ma voisine : Oh! They are Haitians!

Moi : Yes… ehm… And how do you feel about the protests going on in Port-au-Prince?

Les deux : Which protests?

Moi : Well, there is the presidential election on Sunday and one candidate said he’s not running because he believes the election committee is against him as well as the international community. Therefore, people are protesting because they don’t want a presidential election with a single candidate.

L’autre femme : Oh… We were not aware of that! They [les organisateurs de leur « mission », j’imagine] did not tell us about this.

Moi : Are you going to Grand-Goâve tonight?

L’autre femme : Yes we are going directly there on a bus.

Moi : Okay well be safe because friends told me that there were several spots where the road was blocked by protesters on the national road #2, which is the only way to Grand-Goâve. I hope you’ll be able to get there tonight.

L’autre femme : Oh, they know we are coming so they will let us go, no problem!

Ne sachant trop quoi répondre à cela, je me plonge dans la lecture de mon livre Killing with Kindness : Haiti, International aid and NGOs…

Nous atterrissons enfin à PAP. Le coeur veut me sortir de la poitrine et je ne sais pas si c’est parce que j’ai peur de faire le trajet de soir vers chez Sherly ou bien si c’est parce que je suis tellement heureuse d’être ici. Alors que nous attendons que l’avion se vide tranquillement, j’écoute malgré moi une jeune fille blanche parler un créole impeccable avec sa voisine haïtienne. Je comprends peu à peu qu’elle a emménagé ici à l’âge de 7 ans avec sa famille et qu’elle revient chez elle, à Petit-Goâve, après une visite de la parenté aux States. La femme qui était à ma droite, de l’autre côté de l’allée, et qui faisait également partie du groupe-aux-chandails-rouges interrompt la jeune fille : « Excuse me, which language were you speaking? »

La fille : Ehm, creole.

La femme, candide : Wow, that’s wonderful!

Découragée, je prends mon sac et je me lève pour sortir de l’avion. Décidément, on n’est pas sortis du bois!

Le but ici n’est pas de juger ce groupe de coopérants et coopérantes, de dire qu’ils et elles sont comme ci ou comme ça. Je crois sincèrement que les femmes avec qui j’ai parlé étaient animées des meilleures intentions. Ça m’a toutefois fait penser à une discussion que j’ai eue avec des amis en revenant du congrès national d’ISF sur le fait que ce qui compte, c’est l’impact et non les intentions. Si ton impact est minime car inefficace ou pire, s’il est négatif, même si tu avais les meilleures intentions du monde, au final tu as fait du tort et tu as gaspillé des ressources que d’autres auraient utilisé d’une meilleure façon. Comment, en 9 jours, sans parler un mot de créole et sans visiblement connaître le contexte du pays, est-il possible d’aider en quoi que ce soit au développement d’Haïti? Le volontourisme, c’est à ce point là et c’est rendu un problème ici, dans ce pays qu’on appelle tristement la « République des ONG ». Imaginez si tout cet argent dépensé en billets d’avion, en salaires, en vaccins, etc. était injecté directement en Haïti par des haïtiennes et haïtiens conscients du contexte et des besoins.

Cette semaine, c’est la semaine du développement international. L’an dernier, j’avais eu la chance de participer au colloque de l’EUMC-Laval où j’avais justement discuté de la faible efficacité du bénévolat à l’étranger par rapport à celle des actions faites au Canada pour changer nos habitudes de consommation et nos politiques internationales. Cette semaine du développement international nous offre une excellente opportunité de discuter de pourquoi et surtout de comment nous devrions investir dans ce qu’on appelle le « développement international ».